Un roman russe - Emmanuel Carrère
Emmanuel Carrère attaque au burin deux années de sa vie et, en faisant ce travail très personnel, nous offre une œuvre finement ciselée.
Un roman russe n'est justement pas un roman. Le narrateur est l'auteur et l'homme qui livre ce texte cherche à dire la vérité, en l'occurrence celle de sa famille maternelle et la sienne propre, en la frottant sans ménagement aux réalités.
L'écriture d'Emmanuel Carrère est directe, concise; elle veut avant tout donner sens. Elle nous dit pourquoi les choses arrivent, elle nous dit qu'elles vont survenir, elle nous dit qu'elles sont arrivées.
Cherchant à comprendre le parcours du grand-père maternel, il croise le destin pas forcément grandiose d'autres individus (au sein de la Russie profonde) et cerne au plus près les thèmes obsédants de la honte, de la peur, de l'humiliation, du secret, de l'enfermement et surtout de la libération. La déclaration d'amour faite à la mère et à la langue russe sonne vrai et fort. Et le plaisir, souvent mêlé de souffrance, qu'éprouve Emmanuel Carrère à écrire et prononcer les mots russes (notamment le très beau nom de Zourabichvili, celui du grand-père géorgien) est aisé à partager.
Si l'écrivain paraît entouré de fantômes particulièrement envahissants, le livre, lui, est un matériau lourd dont on ne doute pas un seul instant qu'il est écrit par un homme de chair et de larmes, qui ne s'adresse pas à nous en écrivain mais en fils et en amant, sans faux-semblants.