Karakoram, quatre syllabes pour un tremplin
A l'heure où le Pakistan apparaît si souvent associé au spectre du terrorisme, j'aime me rappeler que cette « chaîne noire » qui s'étend au nord du pays a sa part de lumière. Elle fut pour moi l'étincelle qui engendra le voyage.
Auparavant, j'avais parcouru quelques kilomètres en poussette entre Cachan et Champigny-sur-Marne, dévalé deux ou trois pentes en tricycle puis à vélo puis à skis, et approché à pied les rondeurs du Jura, des Aravis et des Grisons. Pas grand-chose de plus.
J'avais 22 ans quand le rêve inespéré, et même informulable, de partir caresser les contreforts de sommets himalayens se présenta.
Une grande école parisienne, l'IGS, associée à Sylvain Saudan, avait imaginé l'impossible pour quelques coureurs entraînés et une poignée d'étudiants inconscients : les réunir pour un marathon titanesque. Dénivelé, longueur des étapes, nombre de participants... les chiffres pèsent d'un si faible poids dans la mémoire et la mesure des lieux !
Je me souviens d'une ville, Skardu, qui dès l'aube s'animait en soulevant la poussière. Je me souviens d'une rivière opaque et tumultueuse : le Baltoro, qu'il a fallu franchir sur un pont tressé, pas vraiment rassurant, qui dansait dans le vent. Je me souviens d'une vallée, large et indolente, qui accueillait l'Indus. Je me souviens d'hommes qui portaient dans leurs bras des enfants. Je me souviens d'un ciel net, écrasant, aveuglant. Je me souviens de villages aux regards ébahis. Je me souviens de sable, de rocs et de glaciers.
Un chiffre tout de même : 5017 mètres, l'altitude du col de Skoro. Pour certains, les opiniâtres, les teigneux qui dans la pente enneigée avaient fourni l'ultime effort, ce fut le point d'arrivée de la course. Pour moi, ce fut le tremplin initiatique, celui qui mène vers tous les points du globe.